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23/11/2014

"Allez allez, soyez les hommes nouveaux, devenez petits." Lorsque Victor Hugo annonce la médiocrité des hommes sans dieux ni rois

 

Assassin_Guillotine.jpg
Scène du jeu Assassin's creed Unity ©Ubisoft 2014

Extrait de Quatre-vingt treize le dernier roman de Victor Hugo.

Lantenac, Prince de Bretagne et chef de la résistance à la République, doit être guillotiné demain. Son neveu Gauvain, officier de l'armée révolutionnaire, lui rend visite dans son cachot.

Lantenac :

- "(...); vous avez cassé, brisé, fracassé, démoli, et vous avez été tranquillement des bêtes brutes. Ah ! vous ne voulez plus avoir de nobles ! Eh bien, vous n'en aurez plus. Faites-en votre deuil. Vous n'aurez plus de paladins, vous n'aurez plus de héros. Bonsoir les grandeurs anciennes. Trouvez-moi un d'Assas à présent ! Vous avez tous peur pour votre peau. Vous n'aurez plus les chevaliers de Fontenoy qui saluaient avant de tuer, vous n'aurez plus les combattants en bas de soie du siège de Lérida ; vous n'aurez plus de ces fières journées militaires où les panaches passaient comme des météores ; vous êtes un peuple fini ; vous subirez ce viol, l'invasion ; si Alaric II revient, il ne trouvera plus en face de lui Clovis ; si Abdérame revient, il ne trouvera plus en face de lui Charles Martel ; si les Saxons reviennent, ils ne trouveront plus devant eux Pépin ; vous n'aurez plus Agnadel, Rocroy, Lens, Staffarde, Nerwinde, Steinkerque, la Marsaille, Raucoux, Lawfeld, Mahon ; vous n'aurez plus Marignan avec François Ier ; vous n'aurez plus Bouvines avec Philippe Auguste faisant prisonnier, d'une main, Renaud, comte de Boulogne, et de l'autre, Ferrand, comte de Flandre. Vous aurez Azincourt, mais vous n'aurez plus pour s'y faire tuer, enveloppé de son drapeau, le sieur de Bacqueville, le grand porte-oriflamme ! Allez ! allez ! faites ! Soyez les hommes nouveaux. Devenez petits !
Le marquis fit un moment silence, et repartit : - Mais laissez-nous grands. Tuez les rois, tuez les nobles, tuez les prêtres, abattez, ruinez, massacrez, foulez tout aux pieds, mettez les maximes antiques sous le talon de vos bottes, piétinez le trône, trépignez l'autel, écrasez Dieu, dansez dessus ! C'est votre affaire. Vous êtes des traîtres et des lâches, incapables de dévouement et de sacrifice. J'ai dit. Maintenant faites-moi guillotiner, monsieur le vicomte. J'ai l'honneur d'être votre très humble.

 

Où est passé le Grand Pan? Ou du désenchantement du monde.

Quelques vers rieurs de Brassens disent toute la tragédie moderne :

 

Le Grand Pan

Du temps que régnait le Grand Pan,
Les dieux protégeaient les ivrognes
Un tas de génies titubants
Au nez rouge, à la rouge trogne.
Dès qu'un homme vidait les cruchons,
Qu'un sac à vin faisait carousse
Ils venaient en bande à ses trousses
Compter les bouchons.
La plus humble piquette était alors bénie,
Distillée par Noé, Silène, et compagnie.
Le vin donnait un lustre au pire des minus,
Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd'hui ça et là, les gens boivent encore,
Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes.
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes.
Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.

Quand deux imbéciles heureux
S'amusaient à des bagatelles,
Un tas de génies amoureux
Venaient leur tenir la chandelle.
Du fin fond du champs Elysées
Dès qu'ils entendaient un " Je t'aime ",
Ils accouraient à l'instant même
Compter les baisers.
La plus humble amourette
Etait alors bénie
Sacrée par Aphrodite, Eros, et compagnie.


L'amour donnait un lustre au pire des minus,
Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd'hui ça et là, les cœurs battent encore,
Et la règle du jeu de l'amour est la même.
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment.
Vénus est faite femme, et le grand Pan est mort.

Et quand fatale sonnait l'heure
De prendre un linceul pour costume
Un tas de génies l'?il en pleurs
Vous offraient les honneurs posthumes.
Pour aller au céleste empire,
Dans leur barque ils venaient vous prendre.
C'était presque un plaisir de rendre
Le dernier soupir.
La plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée par Caron, Pluton et compagnie.
Au pire des minus, l'âme était accordée,
Et le moindre mortel avait l'éternité.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd'hui ça et là, les gens passent encore,
Mais la tombe est hélas la dernière demeure
Les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent.
La mort est naturelle, et le grand Pan est mort.

Et l'un des dernier dieux, l'un des derniers suprêmes,
Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même
Un beau jour on va voir le Christ
Descendre du calvaire en disant dans sa lippe
" Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types.
J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste. "

Faune au Luxembourg_Eugène Lequesne
Faune par Eugène Lequesne (Jardin du Luxembourg, Paris)

 

Ecoutez : http://youtu.be/SaKeQjjzExA