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16/06/2013

L'obsession du Moi, le nouveau visage du totalitarisme

Cet article a fait l’objet d’une publication sur www.atlantico.fr

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Quel est l’ennemi ? Est-ce la pensée libertaire ? Cet esprit libertin qui n’en finit pas d’exiger pour l’individu « des droits qui ont l’étendue terrifiante du désir » selon la formule de Camus (L’homme révolté) ? Ou bien est-ce la société libérale, qui s’affaire à transformer chacun de nos dits désirs en billets verts? Les 2 mon capitaine; ces deux là ce sont bien trouvés en vérité. Ils se nourrissent l’un l’autre avec une frénésie gourmande. Gleeden, premier site de rencontres extraconjugales, paiement au forfait.

 

Moi, mon désir, mes droits. Moi, mon désir j’y ai droit. Moi, mes envies. Mes envies prennent vie. Je fais ce que je veux avec mes cheveux. Mon corps m’appartient. Je positive. Parce que je le vaux bien. Je connais mes droits, Dior j'adore. C’est mon choix. Je suis qui je suis. Mon smartphone, ma vie. Monshowroom.com, Monprogrammetv.fr, Mon-service-public.fr,  Moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi.

 

L’ennemi c’est Moi.

 

Arrêtez de penser que vous êtes de droite ou que vous êtes de gauche. Comprenez comment ça marche. Ouvrez les yeux. Comprenez comment la Matrice vous absorbe [1], vous rumine, jour après jour, instant après instant. Soit vous jouez le jeu, vous suivez les règles, et vous continuez de penser que vous êtes Apple ou Samsung, céréales ou tartines, UMP ou PS, et que c’est votre choix parce que vous le valez bien. Soit vous sortez du jeu. Vous sortez du JE.

Vous éteignez votre télévision. Et vous regardez autour de vous. Et vous comprenez que nous ne sommes plus que des MOI JE : des êtres isolés, in-di-vi-du-a-li-sés, c’est à dire artificiellement maintenus dans une sorte de champ mental autocentré, au moyen d’écrans devenus omniprésents et ultra-personnalisés. Chez moi, dans le métro, dans ma poche, l’écran me suit partout et me connait mieux que moi-même, analyse mes habitudes, stimule mes envies, choisi ma musique, estime mon salaire, mesure mon rythme cardiaque, et prévient mes amis.

 

Les écrans sont à l’origine de mes désirs par la publicité et les médias, et me permettent de les satisfaire par la consommation de contenus et l’achat en ligne [2]. Ainsi la boucle se boucle et l’écran me suffit à vivre. Et ce faisant il me coupe de la vie. Il me prive d’une existence proprement humaine, c’est à dire de la rencontre sans filet avec le monde, avec l’autre, avec ce-qui-n’est-pas-moi, et du périlleux et gratifiant cheminement intérieur qui en découle et mène à la connaissance de soi et à la plénitude d’une vie qui se sait essentielle.

 

Au lieu de cela, les écrans nous enferment dans un Moi Je préfabriqué en constante frustration. La société moderne fabrique de l’individu à la chaine pour mieux vendre à des clones. Habillez vous tous en Diesel pour être différents. Ayez tous un iPod pour être différent. Soyez tous uniques, allez au centre commercial! La vie moderne fait de l’ego une cage pour l’esprit, une cage d’autant moins voyante qu’elle est tout confort, tout équipée, et qu'elle dispose parfois même d'un abonnement à Canal Plus.

 

Pourquoi ?

 

Mais pourquoi, me direz-vous, cette conspiration individualiste des temps modernes? Tout simplement parce que cette condition égocentrée détruit chez un homme toute possibilité de se définir autrement que par ses seules sensations immédiates et personnelles. Parce que ce conditionnement incline à voir la vie comme un programme télé, le Monde comme un parc d’attraction (Cf. Ph. Murray), et l'autre comme un objet de consommation. Parce que cette réduction de l'Homme à son nombril lui interdit de se penser comme membre d’un tout, d’une communauté de destin, de parler de soi à la première personne du pluriel, de dire "NOUS", et, ce faisant, supprime toute possibilité de Contre-pouvoir.

 

We, the People (...) [3]

 

Car ne nous y trompons pas, le seul contre-pouvoir au pouvoir effectif, c’est le Peuple. Or « le Peuple », ce n’est pas juste l’ensemble des personnes sur lesquelles s’exerce le pouvoir, c’est une idée. Une représentation mentale de soi avec les autres, un « NOUS», une réalité qui n'existe qu'à la condition que chacun ait conscience d’être un composant du Peuple, c’est à dire d’être collectivement une puissance. Car la conscience collective n'existe pas, ce qui existe c'est la conscience individuelle d’être une collectivité ; la possibilité psychique pour un homme de penser NOUS à la place de penser JE. Il n’y a rien de plus dangereux, de plus subversif. Le pouvoir le sait, comme il sait aussi qu’une somme d’individus ne fait pas un peuple. La notion de Peuple vous semble dépassée, inutile ? « Bien commun », « France », « Nation », « Sacrifice », sont des mots qui vous semblent d’un autre âge, qui vont font presque peur… C'est que le pouvoir fait bien son travail. Rien ne vaut que votre cher bien-être.

 


Qui s’adresse encore au NOUS qui est en moi ?

 

Un individu seul n’est rien, car il sait - il sent bien - que seul il ne peut rien. Alors il se replie sur lui-même. Le véritable génie totalitaire de l’idéologie libérale/libertaire est de castrer dans l’œuf, dans l’esprit même, la révolte naturelle de l'Homme, en lui faisant croire que ce repli sur soi est une forme de liberté. La plus grande liberté même ! Celle de dire « Je m’en fous ! ». En faisant de lui un être recroquevillé sur son "lui-même" numérique, définitivement et parfaitement isolé dans son monde virtuel-connecté, le pouvoir libéral-libertaire rend l’Homme incapable de se penser comme membre d’un corps plus grand que lui, c’est à dire le condamne à l’impuissance.

 

Normalement, historiquement, le sentiment d’injustice révolte l’homme, et provoque l’union forte et solidaire de ceux qui partagent le même sort. Mais dans une société d'individus-rois ce partage, qui implique l’idée de sacrifice et de don de soi, n’est plus possible. Le sentiment d’appartenance à une communauté de destin n’est plus recherché, le NOUS n’est plus valorisé. Au contraire ; il est perçu comme un danger, un embrigadement, un déterminisme culturel ou social allant à l’encontre des libertés individuelles et de l’épanouissement personnel. L’appartenance à quoi que ce soit de non choisi par pur intérêt personnel, de non choisi par Moi Je, telle que la religion, le pays, le milieu social, la famille, ou même le sexe… apparaît alors comme une case dans laquelle la société m'impose de rentrer, une étiquette insupportable, liberticide. Un fascisme.

 

Du coup, il semble normal, pour ne pas dire vertueux, de dire à propos des décisions prises par le gouvernement, "Je m'en fous", "On n'y peut rien", "de toute façon, il n’y avait pas le choix". En remplaçant la puissance du peuple par l'impuissance des individus, la pensée libérale/libertaire a réinstallé la fatalité dans l'esprit des hommes. Ainsi "la Mondialisation", "l’Europe", "le Sens de l’Histoire", ou encore "le Progrès", sont-elles des fatalités bien utiles qui décident pour nous, jour après jour.

La nécessité de l’Histoire, voilà la victoire de la pensée unique, voilà la prison mentale dans laquelle elle enferme l’Homme. Faire croire aux hommes que l’Histoire a un sens prédéterminé, qu’elle n’est pas le produit de l’humanité mais son maitre. Ce qui arrive est nécessaire. Circulez il n’ y a rien à voir. C’est imparable.

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Le hamster heureux

 

Tant qu’on lui laisse le « museau dans la gamelle »[4] et les pieds devant sa télé, l’homme moderne se tient tranquille. Il est même heureux, car après-tout il ne faut pas attendre autre chose de la vie lui a-t-on appris à l’école laïque. Dès lors il suffit de payer son abonnement à Free (j'ai tout compris), à son club de gym (J'élimine), à la Fnac (J'adhère). Il s’enferme dans son petit monde de prêt-à-désirer en étant persuadé que c’est bien là la preuve qu’il jouit de sa liberté, de cette liberté chérie conquise de si hautes luttes par des siècles de révolte humaine ! « Il n'y a point d'assujettissement si parfait que celui qui garde l'apparence de la liberté; on captive ainsi la volonté même. », disait Rousseau.

 

Eh bien non Monsieur l'Adhérent Fidèle, Monsieur le Membre Privilégié, Monsieur le Client VIP, vous n’êtes pas libre parce que vous avez 256 chaines de télévision, parce que vous avez le choix entre la box bleue et la box orange, entre une voiture gris perle ou gris souris, entre l’UMP et le PS. Vous êtes juste un hamster qui a le choix entre courir dans la petite roue à droite ou dans la petite roue à gauche. La cage, elle, ne bouge pas.

 

L’Etat libéral/libertaire détruit sciemment depuis deux cents ans tout ce qui peut faire dire à un homme "NOUS", c’est à dire le sentiment d’appartenance à un groupe dont l’existence ne relève pas de l’Etat, et qui pourrait lui donner l’impression de pouvoir changer les choses. Ainsi la Religion (religare signifie relier) fut le premier sentiment, la première "entrave à la liberté" du Moi Je à être visé par les « lumières » et l’esprit libertin. Puis ce fut rapidement le tour de la Nation et l’appartenance à un passé et à une terre commune (« Nos ancêtres les gaulois », mais au nom de quoi m'impose-t-on des ancètres!). Après l’échec cuisant du communisme, ce fut au tour de la notion de Classe Sociale; un concept qui changea la face du monde, d’être ringardisé en moins de 20 ans par la gauche caviar Tapie-Séguéla. Enfin, la notion même de Peuple est aujourd’hui en phase terminale.

 

Il ne restait plus que l’étage fondamental, le premier cercle d’appartenance, le clan primordial, préhistorique, celui qui avait eu finalement raison même de l'URSS (cf. Emmanuel Todd, La Chute) : la famille. C’est chose faite avec la loi Taubira qui supprime le NOUS familial naturel et invente un NOUS familial artificiel, la famille devenant une construction sociale permise par l’Etat, « libérée » des contraintes biologiques, dont la seule justification est le Moi Je veux un enfant.

 

Ah non j'oubliais, avec ce dernier NOUS de la famille naturelle, tombe également la dualité constitutive de l’humanité, l’appartenance à l’un des deux sexes, l’identité masculine et l’identité féminine. « Nous les femmes » est une phrase qu’il est déjà sulfureux de prononcer, tant elle est suspectée de masquer l'interiorisation inconsciente d’une condition inférieure. Après tout la femme n’est-elle pas un homme comme les autres ? Comprendre : un individu comme les autres, libre de choisir son orientation sexuelle, indépendamment des « différences » dont la Nature l’a injustement doté. Les hommes ? les femmes ? Fini. Vive l’individu vous dis-je ! Le monde sera merveilleux lorsqu’il ne restera vraiment plus que des Moi, moi, moi, moi, moi, moi, moi… Un océan de Moi Je, et un pouvoir absolument total.

 

Alors vous êtes de droite ou vous êtes de gauche ?

 



Ou vous avez compris.

 

 

 

 


[1] Dialogue extrait du film Matrix, des frères Wachowski (USA, 1996) 

[2] Quand votre smartphone pense pour vous, article du Point du 31 juillet 2013

[3] "Nous le Peuple (...)" Premiers mots de la constitution américaine.

[4] Extrait de Bouvard et Pécuchet, de Gustave Flaubert.

 

 

Commentaires

Je ne sais pas si j'ai (tout) compris mais j'ai pris une grande baffe.
Merci d'avoir dit aussi clairement les choses que je ressentais confusément au fond de moi.

Écrit par : godefroy_de_m | 29/06/2013

Merci. L’idolâtrie du moi est en effet la source de nos maux. Ceci a été remarquablement développé par Martin Heidegger dans sa “Lettre sur l’humanisme” et par le professeur Jean François Mattéi dans son livre ; “la barbarie intérieure; essai sur l’immonde moderne” sans parler des “pensées” de Pascal.

Écrit par : Bernard | 16/07/2013

Très très intéressant ! Je l'ai lu rapidement, je me le garde au chaud pour ce soir ! Merci

Écrit par : Vinvin | 27/07/2014

@Vinvin
Merci! N'hésite pas a dire ce que cela t'inspire!

Écrit par : Le Scribé | 27/07/2014

J'aurais des tas de choses à vous dire à ce sujet... là pour l'instant je n'ai pas vraiment le temps, mais j'y reviendrai, puis qu’apparemment vous attendez des retours.

Je vous donne juste un avant-goût de mon point de vue : quel est ce mot que vous employez le "moi" ? D'où vient-il ? Peut-on philosopher sans interroger les concepts que l'on emploie ?

La psychanalyse est-elle une philosophie ? Si oui, quelles sont ses propres influences philosophiques ? Si non, pourquoi faites-vous de la philosophie à partir de quelque chose qui n'en est pas ?

Le "moi" n'est-il pas un concept "tout-prêt", comme de la bouffe sous emballage plastique ? En d'autres termes, avez-vous pris soin, avant de développer votre argumentaire, de vous approprier le terme : "moi" ? Ce "moi" est-il à vous ? Quelle en est exactement votre définition personnelle ? Croyez-vous que parce qu'il s'agit d'un terme psychanalytique, il se suffise à lui-même, et n'ait pas besoin qu'on le redéfinisse, comme n'importe quel concept philosophique, à chaque fois qu'on l'emploie ?

Le "moi" va-t-il de soi ? [Je pourrais vous prouver par a+b que non, mais je vous laisse le soin de vous poser cette question à vous-même, avant de vous donner mes réponses.]

Au demeurant, le "moi", est-ce un mot de la langue française classique ? Comment vos idées aurait-elles été exprimées par un auteur comme par exemple La Bruyère, à une époque où l'on ne connaissait bien-évidemment pas la psychanalyse et où donc on n'utilisait pas ce terme : "le moi" ?

Bien à vous. Je reviendrai. :)

Écrit par : Irena Adler | 30/07/2014

Bon, je reviens, comme promis.

[Pas de réponse de votre part ? C'est dommage... Il faut croire que lorsqu'on s'exprime de façon animée et enthousiaste, de nos jours, on fait peur. hum.]


Et si on arrêtait, avec ces termes barbares qui ne signifient rien : "moi", "ego".. etc.

Remplacez "égo" par l'un ou l'autre de ces deux mots : "fierté" ou "vanité", et vous verrez que tout s'éclaire... [et vous verrez que vous parlerez à nouveau français.]

Le moi (ou l'égo) ne sont que des moyens de locomotion, ils n'ont pas à être connotés péjorativement ou méliorativement. Ils ne sont que ce que nous sommes, c'est-à-dire des "roseaux pensants".
Autrement dit, pour le bien de tous, il faudrait traduire : "Je pense donc /mon moi est/."

Un homme qui dit : "Je" n'est qu'un homme, c'est-à-dire n'est qu' un corps doué d'esprit, qui s'utilise lui-même comme véhicule, pour se mouvoir sur cette terre, en parole, et à-travers le temps. Dire "Je" est tout à la fois un acte de vanité et de courage, et c'est un acte d'humilité aussi (en effet, un homme qui dit "je" ne parle qu'en son propre nom, ce qui est bien peu).

-On peut se frapper la poitrine, se faire valoir en vain, par vanité, parce qu'on est creux et qu'on voudrait avoir l'air plein, comme la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf.
-On peut aussi se frapper la poitrine parce qu'on éprouve profondément et douloureusement la vérité de ce qu'on est en train de dire. Et on peut vouloir se faire valoir parce qu'on a de la valeur, ou qu'on désire en avoir, et se donner les moyens d'en avoir.

Tout cela est également possible.

Écrit par : Irena Adler | 07/08/2014

Je reviens encore une fois, car votre sujet est vraiment un sujet qui me tient à cœur.

Si vous me trouvez trop bavarde, vous pouvez supprimer mes interventions. De toute façon, je vais sauvegarder celle-ci sur mon disque dur en vue d'écrire moi-même, dans les temps à venir, un billet sur mon blog sur le même thème.

Voici quelques remarques suplémentaires :

- Ce que vous désignez sous le terme de "règne du moi" n'est rien d'autre que ce que nos pères du XXe siècle désignaient sous le terme : égoïsme petit-bourgeois. Le consumérisme des petits-bourgeois - comme celui des racailles de banlieues d'ailleurs - est le fait de gens qui se satisfont de joies stupides, qu'on pourrait appeler de joies de l'estomac, et dont le narcissisme se résume à aimer porter des vêtements qui leur donnent une aura de respectabilité et/ou de désirabilité dans l’œil du badaud.

Qui donc indexe le respect qu'il se doit à lui-même sur le regard que le badaud porte sur lui ?
Celui dont le narcissisme-propre est bien peu gourmand en vérité, et bien fruste !

Imaginez n'importe quel personnage de Dandy, à la façon de ceux de Huysmans, ou encore selon le goût de Baudelaire... Est-ce que le vrai dandy baudelairien va chercher la gloire de son petit-moi dans le fait de porter le costume à la mode susceptible s’esbaudir le bourgeois ? Je ne pense pas, non. Le vrai dandy ne craint pas de déplaire. Et ce qu'il veut surtout c'est être incompris du bourgeois.
Est-ce que le véritable dandy, qui est pourtant très-narcissique, est un consumériste qui adore faire-briller, manger, posséder et encore posséder ? Non, bien sûr, le vrai dandy ne craint pas une petite fringale, de porter un mauvais chapeau, de trimbaler auprès de lui son amie la solitude et qu'on le voie vivre dans la misère. Si le dandy affronte tout cela pour la beauté de son dandysme, le dandy considère que sa misère-même est un luxe.

On pourrait même aller jusqu'à dire que la souffrance du Dandy est à l'image de la souffrance des martyrs de la religion chrétienne, dans la mesure où la souffrance des martyrs est également une sorte de luxe puisqu'il s'agit toujours d'une misère "orgueilleusement" choisie.

Ne peut-on avoir l'orgueil de sa foi et l'orgueil de sa bonne conduite ? Celui qui n'a pas l'orgueil de sa bonne conduite, pourquoi agirait-il bien ? Pour la gloire de Dieu ? Mais vouloir plaire à Dieu, ne voilà-t-il pas par excellence ce que les gens d'aujourd'hui identifieraient comme LA vanité suprême ?

Autrefois, lorsqu'on disait aux chrétiens d'être humbles, on ne leur interdisait pas pour autant de faire preuve de fierté et d'orgueil. On leur disait juste : placez-les, votre fierté et votre orgueil, dans un endroit où ne sévissent ni la rouille ni la teigne, et où les voleurs n'entrent pas (pour paraphraser la parabole du Semeur des Evangiles), c'est-à-dire placez-les en Dieu.

Ici comprenez bien que je ne veux pas vous évangéliser. Si vous êtes athée, cela me va très bien, et même cela me va mieux que si vous êtes un bigot. Car ce que je raconte ici les bigots ne peuvent pas décemment l'entendre. Ce que je propose ici, c'est seulement une méthode de pensée. Et ce que je vous dis c'est que pour penser-bien la question du "moi", de l'égo", ou du narcissisme, il ne faut pas s'attacher à discuter de si l' "égo" est bon ou mauvais. Car aucun être humain normalement constitué ne peut se passer d'avoir un égo. Encore une fois, il faudrait se souvenir que : "Je pense, donc mon /égo"/ est".

Ce que je dis c'est que la seule chose qui moralement vaille, c'est d'avoir son /égo/ bien placé.

- Celui qui aime, c'est celui qui s'aime d'abord lui-même. Si l'on ne s'aime pas soi-même, le "aime ton prochain comme toi-même" ne vaut rien. Aussi la société qui ravale l'amour de soi à de basses activités gastriques, est une société qui pousse les hommes ambitieux et hautement moraux à se dégoûter d'eux-mêmes. Cela veut dire qu'une telle société a le don de changer les êtres les plus capables d'accomplir grandes choses en êtres de haine, et qu'elle ne contente que les êtres les plus frustes et les plus bas - ceux qui sont capables de se contenter pleinement, comme les animaux qui n'ont pas d'âme, de satisfaire leurs seuls besoins primaires.

- Cyrano de Bergerac est l'archétype du héros qui a bien-placé son "égo". Le héros d'American Psycho en revanche est l'archétype du héros qui à force de mal-placer son égo, l'a détruit. Qu'est-ce qu'un psychopathe sinon quelqu'un qui n'a plus d'égo ?

Celui qui une mentalité psychopathique, c'est celui qui ne qui n'a plus de "moi" que lorsqu'il s'agit de s'intégrer socialement, c'est-à-dire d'épater la galerie, c'est celui qui utilise son "moi" à des fins diverses - manipulation, quête de puissance ou simplement consumérisme - mais qui n' "est" plus lui-même son propre moi. C'est celui qui ne s'habite plus.

Quand on dit aux gens qu'il faut qu'ils prennent possession d'eux-mêmes - comme lorsqu'on dit aux femmes : "votre corps vous appartient" -, on leur ment. On n'a pas besoin de prendre possession de soi pour la simple et bonne raison que l'ON EST (d'ors et déjà) SOI. Et plus encore, il faut bien comprendre que nous n'avons rien d'autre au monde que notre "petit moi" pour avancer dans la vie et nous perpétuer dans l'être. Celui qui saccage ce véhicule en prétendant en devenir le maître absolu - or nous ne serons jamais les maîtres absolus de nous-mêmes, car nous sommes des simples mortels, et à la fin des fin les lois de la nature auront raison de nous - celui qui ainsi saccage ses vaisseaux, disais-je, il ne lui reste plus rien sur la terre. Plus rien : ni fierté, ni appartenance, ni fidélité, ni amour, ni attachement, ni famille, ni aucun de ces liens tangibles avec le passé et l'avenir que sont les liens à la terre, aux enfants et aux morts.

Écrit par : Irena Adler | 19/08/2014

Merci Irena pour ce commentaire qui une nouvelle fois est bien plus qu'un commentaire, et avec lequel je suis une nouvelle fois d'accord sur le fond. Mon égo (le mauvais) est très flatté par la qualité de vos interventions qui enrichissent d'autant ce blog. Mon autre égo (le bon) est désolé de ne pas vous avoir répondu avant mais il (toujours le bon, à moins que ce ne soit le mauvais...) s’enorgueillit de passer des vacances dignes de ce nom, c'est à dire aussi vides et déconnectées que pleines et enracinées dans la bonne terre de Bretagne!
Ils (les deux) vous prient de croire en leurs amicales salutations, et ne manqueront pas de revenir vers vous dès la reprise d'une activité civilisée et aliénante normale.

PS. Petit conseil de lecture de l'été qui vous plairait j'en suis sûr : l'Être contre l'Avoir, essai du philosophe contemporain Francis Cousin.

Écrit par : Le Scribe | 20/08/2014

Merci à vous, le Scribe, pour votre réponse.

"Mon égo (le mauvais) est très flatté par la qualité de vos interventions qui enrichissent d'autant ce blog."

Mais non, mais non, vous n'y êtes encore pas du tout... Qu'y a-t-il Diable de mal à se sentir flatté, lorsqu'on est effectivement flatté, et que c'est pour de bonnes raisons ?

Voyez, il y a de ces réflexes de pensée, qui situent l'humilité au mauvais endroit, qu'il serait bon, pour apprendre à penser nouvellement, de perdre. :)

Écrit par : Irena Adler | 26/08/2014

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