20/03/2014
L’Ukraine, les gentils et les méchants : comment les récits médiatiques hystérisent les opinions (jusqu’à la guerre ?)
Cet article a fait l'objet d'une publication sur le site www.atlantico.fr
Pro-européens contre pro-russes? Démocratie contre dictature? Jeunesse éprise de « liberté » et de Coca-Cola, contre nostalgiques de l’armée rouge et du goulag? Gentils progressistes féministes multiculturels (Ouais! Trop lol ! J) contre méchants réactionnaires homophobes racistes (Bouh ! facho !) ? Êtes-vous sûr de posséder les bonnes grilles de lecture du monde, celles qui par exemple vous permettent de comprendre la fracture apparue violemment en Ukraine en ce début d’année 2014 ap. J-C.?
Fin de l'Histoire ?
Peut-être avez-vous l’intuition que ces oppositions binaires sont un peu courtes, voire trompeuses? Peut-être êtes-vous parfois saisi par l’étrange sentiment que le prêt-à-penser servi nuit et jour sur nos écrans par la société du spectacle ne fournit pas à votre entendement le moindre début d’explication du monde satisfaisante ?
L’Histoire des hommes nait des tensions entre ceux-ci : ces tensions créent des conflits, des victoires, des défaites, et des changements dans l’ordre établi. Notre société occidentale de ce début de XXIe siècle vit dans la croyance que l’Histoire est finie (cf. théorie de Francis Fukuyama) : le mur de Berlin est tombé, on a gagné, et le monde va progressivement converger vers une civilisation unifiée parlant anglais, buvant du Coca et pianotant sur facebook. Toute alternative et forcément mauvaise et rétrograde, l’Autre n'est plus un concept possible, les tensions sont supprimées, l’Histoire est finie.
Mais il se pourrait bien que l'Histoire ne soit pas finie. Peut-être le pensez-vous aussi?
La tectonique des plaques
De la même façon que les forces souterraines président aux tensions qui travaillent la croute terrestre, les idées des hommes président aux tensions qui travaillent l’humanité; elles sont irrépressibles, leurs effets sont invisibles en surface, mais leur puissance s’emmagasine petit à petit dans les profondeurs de la société. Jusqu’au jour où les résistances cèdent, et c’est le tremblement de terre.
Connaitre les idées qui travaillent le monde, c’est avoir la grille de lecture permettant de comprendre les lignes de fractures. Au XVIème siècle, c’est le schisme dans l’Eglise qui explique les conflits qui déchirent l’Europe et la France ; catholiques et protestants portent deux conceptions antinomiques de ce que doit être la société. Grâce à ce prisme que nous fournit la connaissance des idées religieuses, nous donnons du sens aux évènements, nous comprenons l’Histoire ; nous comprenons par exemple pourquoi par une belle nuit d’été de l’an de grâce 1572 des milliers de parisiens ont assassiné leurs voisins.
Mais comprend-t-on pourquoi il y a 15 jours, en Ukraine, 100 personnes se sont entretuées sur en une journée ? Le comprenez-vous vraiment ?
Et en France comprend-t-on vraiment ce qui est à l’origine des tensions de plus en plus vives au sein de la société ? Que nous propose-t-on comme grille de lecture ? La Gauche contre la Droite ? Les Républicains contre le Front National ? La République contre Dieudonné ? Les Racistes contre les Immigrés ? Les Progressistes contre les Réactionnaires ? L’Ordre Républicain contre les Forces Sombres ?
Vous savez bien que ces étiquettes éculées ne disent rien, ne sont que des facilités de langage pour journalistes fainéants et radoteurs, des oppositions imaginaires qui en disent plus long sur ceux qui les assènent que sur la réalité qu’elles sont censées décrire. Les medias ne voient plus le monde depuis longtemps, ils projettent sur lui leurs fantasmes, leur morale binaire.
En réalité la mécanique médiatique à l’œuvre face à une tension qui se fait jour est toujours la même ; derrière des mots apparemment descriptifs mais en vérité largement connotés (islamistes, Al Qaïda, extrême droite, intégristes, nationalistes, homophobes, réactionnaires, etc,) il s’agit de faire passer un message simple ; d’un coté il y a les gentils, et de l’autre il y a les méchants.
Gentils contre Méchants
World Trade Center ? Gentils contre méchant. Irak ? Gentils contre méchants. Afghanistan ? Gentils contre méchants. Lybie ? Gentils contre méchants. Mali ? Gentils contre méchants. Centre-Afrique ? Gentils contre méchants. Ukraine ? Gentils contre méchants ? Si parfois certains émettent des doutes, BHL se rend sur place pour bien nous confirmer qui est qui.
Outre le fait que cette approche manichéenne constitue le niveau zéro de l’analyse géopolitique, c’est surtout criminel. A longueur d’articles et de journaux télévisés c’est la légitimation de la guerre, lentement mais surement, qu’on installe dans nos esprits. Présenter celui avec lequel on est pas d’accord comme un méchant, un anti-démocrate, un anti-républicain, un anti-droits de l’homme, anti-progrès, un antisémite, un anti-IVG, bref un anti-bien, c’est dire : « un jour il faudra le tuer ».
Or il n’y a jamais de gentils ni de méchants. Et les pires sont certainement ceux qui cherchent à se faire passer pour les gentils. Gentils les cowboys ? Gentils les Robespierre ? Gentils les Républicains ? Gentils les Américains ? Gentils les Israéliens ? Gentil le FLN ? Gentils les bolchéviques ? Gentils les rebelles de Maïdan ?
Bien sûr ni les palestiniens, ni les Indiens d’Amérique, ni les Russes, ne sont « gentils » non-plus. Mais ils n’ont jamais osé en appeler au « Bien » pour légitimer la défense de leurs intérêts et de leurs modes de vie. On est toujours le gentil à ses yeux et le méchant aux yeux du camp d’en face, évidemment. Chacun estime toujours qu’il a raison. C’est une lapalissade qui n'explique rien. Les Américains sont, à leurs yeux, les gentils injustement agressés; les pays musulmans sont, à leurs yeux, les gentils injustement agressés. Pour autant, sommes-nous tous américains comme nous l’enseignent les médias ? (cf. édito du monde du 13 sept 2001) ? C’est à dire devons nous voir le monde à travers les yeux des américains ? Ou ceux des pays musulmans? La réponse de tout homme de raison est NON.
Vous le savez bien, ce sont les idées, les modes de vie, les intérêts, les alternatives, qui s’opposent, pas des gentils et des méchants. Qu’on arrête de ne nous parler comme à des enfants de 2 ans. Les Russes ne sont pas méchants, pas plus que les américains. La seule chose qui puisse garantir la paix c’est l’équilibre, ce qui dans les relations internationales correspond au respect mutuel entre des peuples libres.
A cet égard des pays indépendants et des peuples souverains sont la meilleure garanti d’un monde en paix, (c’est d’ailleurs ce qui explique l’article 1 de la charte des nations uni : le droit d'un peuple à disposer de lui-même), bien plus qu’un monde sous hégémonie américaine; cette "pax Americana" qui en condamnant les peuples à l'américanisation ou au bannissement, conduit en réalité à la guerre.
Alors d’après vous quelles sont en ce début de XXIe siècle, dans notre monde apparemment sécularisé, les idées, les modes de vie alternatifs, les intérêts, qui permettent de comprendre les tensions croissantes, et demain de justifier le meurtre de son voisin?
Le Scribe
Voici quelques pistes pour les esprits curieux...
http://www.valeursactuelles.com/antipoutinisme-primaire
http://www.4pt.su/fr/content/la-guerre-contre-la-russie-dans-sa-dimension-ideologique
http://www.realpolitik.tv/2014/03/aymeric-chauprade-entretien-accorde-a-ria-novosti/
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/discours-du-president-vladimir-149669
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Commentaires
Cher Le-Scribe,
"Bien sûr ni les Palestiniens, ni les Indiens d'Amérique, ni les Russes, ne sont « gentils » non-plus. Mais ils n'ont jamais osé en appeler au « Bien » pour légitimer la défense de leurs intérêts et de leurs modes de vie. "
Là, vous êtes un peu léger! Exception faite des Indiens d'Amérique, je crains que vous ne lisiez pas la bonne presse...
Il y aurait selon vous ceux qui se font passer pour des gentils, et les autres? On retombe dans le manichéisme je crains.
Je trouve aussi curieux que vous mettiez sur un pied d'égalité un conflit territorial (Ukraine) et "anti-IVG", "anti-sémitisme", "homophobie"...
Oui, je crains qu'il y ait des opinions liberticides. Le contrediriez-vous?
Écrit par : Alexis | 22/03/2014
Cher Alexis,
Je vous remercie de votre commentaire pertinent. La contradiction que vous relevez eut été juste si ce n'était ceci : si les Russes et les Palestiniens, et même les Indiens d'Amérique s'estiment être les gentils et agir selon leur bon droit, (ce que nous reconnaissons en écrivant plus loin "Chacun estime toujours qu’il a raison"), ils n'invoquent cependant jamais une fatalité historique ("Le progrès", "les droits de l'Homme", "la démocratie", "l'universalisme"...) qui irait dans leur sens et justifierait toujours leurs actions devant les hommes du monde entier; ils agissent selon leurs intérêts et le revendiquent. (C'est cette revendication naturelle qui fournit d'ailleurs la légitimité de leurs actes).
Pour faire bref, ils sont certes gentils à leurs yeux et à ceux des médias qui prennent leur parti, mais ils ne se cachent pas derrière l'étendard de la marche du Monde vers le "grand bonheur pour tous" que veulent incarner les occidentaux, et dont le messianisme américain est la parfaite illustration. C'est toute la différence entre une vision historiciste des relations internationales qui implique un début, une intrigue et une fin (Happy End oblige à Hollywood) et la "réalpolitique" qui voit les relations internationales comme un jeu de rapports de force sans cesse recommencé.
Écrit par : Le Scribe | 25/03/2014
Quant à votre remarque concernant la juxtaposition de qualificatifs appartenant apparemment à des registres différents - "anti-démocrate", "anti-républicain", "anti-droits de l’homme", "anti-progrès", et "antisémite", "homophobe", "anti-IVG" - ils procèdent en réalité tous de la même vision manichéenne du monde qui catalogue pour chaque question donnée les bons et les méchants, de cette illusoire et présomptueuse marche du monde vers le grand bonheur qui ne peut connaitre que des amis, ou des ennemis.
Écrit par : Le Scribe | 25/03/2014
J'ai le sentiment que le binairisme est tout ce qui reste à l'homme objet de compétition, dévoré par la complexité de son environnement - et le peu de portée de ses coutumes démocratiques dans la marche du monde. Je ne me sens pas d'être anti-fatalisme, ni pro-inertie. Cette guerre en Ukraine est je crois que tu as raison un acte pédagogique que chacun prendra comme il se doit ; rares sont ceux capables de lever le petit doigt de la couture, et pour ceux qui le font surtout ne pas vouloir faire école assure un minimum de tranquilité. Vivement les remous autour du nouveau spectacle au titre et affiche spectaculaires de ce bon Dieudo.
Je découvre ce blog, pour ce que ça vaut j'y reviendrai avant longtemps.
Écrit par : Djef | 16/04/2014
Ce qui EST LE PLUS PUISSANT LEVIER du bras meurtrier géopolitique
(Amérique, aujourd'hui, Allemagne hier, etc..), est sans contexte,
LE TERRORISME MÉDIATIQUE. Arme fatale , d'autant qu'il n'y a plus d'esprit
d'indépendance et de recherche de vérité dans cette profession .
La corruption est généralisée.
Écrit par : louise | 19/08/2014
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